La majorité silencieuse doit prendre place dans le débat politique
Trois questions à Bouchera Azzouz, militante féministe, co-initiatrice de l’Appel “Musulmans citoyens pour les droits des femmes” paru ce 8 mars.
Genèse de cet Appel ?
Il était important, pour cette journée internationale des femmes, de réaffirmer autour d’un texte fort le droit de chacune à disposer de son corps, et notre attachement au principe fondamental d’égalité homme femme. Cela pourrait paraître banal si ce texte n’était signé par de nombreux responsables musulmans de France. Du CFCM à Tariq Ramadan en passant par des imams, jusqu’aux associations des musulmans homosexuels. Il s’agit de montrer que nul ne peut inscrire en France une vision autre que celle de l’égalité, de la liberté, du respect de chacun à vivre comme il l’entend.
Sur ces questions, il ne peut y avoir de négociation. Nul ne peut imposer ses convictions ou ses croyances pour justifier de l’oppression mais en même temps nul ne peut enfermer ou stigmatiser toute une communauté quand celle-ci, dans sa très large majorité, est totalement en phase avec la République et défend le même idéal républicain.
La majorité silencieuse doit prendre place aujourd’hui dans le débat politique car nous refusons le rapt de notre identité, tout comme nous dénonçons cette idéologie raciste du choc des civilisations.
Nous sommes avant tout des citoyens français, enracinés dans l’histoire des mouvements sociaux de notre pays, la France. Nous sommes les héritiers, de Jaurès à De Gaulle, de cette grande nation. Comme disait le Général De Gaulle: « Oui la France est chrétienne, mais la République est laïque » ! Je reconnais la France dans son entièreté, j’aime tous les clochers de nos villages et j’aime aussi sur le marbre de nos institutions les valeurs auxquelles j’essaie de donner sens dans mon engagement : liberté de conscience, égalité des droits et fraternité.
En quoi votre positionnement aujourd’hui est cohérent avec votre départ de Ni Putes Ni Soumises (NPNS)* ?
Lorsque nous nous sommes engagées au sein de NPNS, nous portions le combat pour l’égalité et contre les ghettos. C’était le point de départ du mouvement. Il était urgent d’amener les femmes dans les champs politique et social d’où elles étaient exclues. Hélas, très vite, le mouvement a été instrumentalisé. Cela a contribué à réduire la question des femmes issues des quartiers populaires à une question religieuse et communautaire. Sur le terrain, on se rend compte que les choses sont beaucoup plus compliquées, et que dans l’équation NPNS, il manquait toute la dimension sociale. On ne peut pas transposer le monde arabe aux quartiers, pas plus qu’on ne peut réduire la question des femmes à celle de l’islam, ou du simple rapport à la culture.
NPNS est devenu l’arbre qui masque la forêt ! Un féminisme devenu très vite archaïque, bancal, atrophié par un discours ethnicisé, en décalage absolu avec la réalité sociale des femmes qu’elles croient défendre. Aucune perspective, et surtout, aucune vision à long terme de ce que doit être ce combat pour l’émancipation des femmes. Enlisées dans la lutte contre le voile, alors même que les féministes arabes ont fait avancer cette question dans des régimes où il n’était pas si simple de progresser, elles sont passées à côté des vrais combats et des vrais défis à relever pour libérer les femmes, et faire avancer l’égalité. Aujourd’hui, elles ont définitivement perdu le combat du féminisme populaire dans lequel elles croyaient s’inscrire, mais qui, de fait, était trop grand pour une vision si étroite.
Aujourd’hui, presque toutes les fondatrices du mouvement ont quitté le navire. Notre point commun ? Nous défendons un féminisme populaire libre et indépendant, qui s’inscrit dans un mouvement d’éducation populaire et d’action sociale. Un féminisme qui prend en compte toutes les femmes des quartiers : Nathalie comme Fatima, Estelle, Aminata et Valérie. Toutes ces femmes confrontées aux mêmes problèmes : éducation de leurs enfants, pouvoir d’achat, emploi, garde d’enfants, accès au soin, monoparentalité, logement, violences, etc.
Avoir détourné le mouvement à des fins politiques pour porter des débats qui ne servent pas l’intérêt général a été une erreur, à la fois parce qu’il abandonne la cause des femmes précaires des zones urbaines et rurales et parce qu’il a contribué à libérer et à banaliser la parole raciste.
Le combat pour l’égalité et contre les discriminations doit trouver de nouveaux élans. Et il n’y a que dans l’espace politique que nous pourrons infléchir cette tendance globale qui consiste à monter les Français les uns contre les autres. C’est ensemble, en se basant sur les valeurs républicaines, que nous arriverons à construire une société interculturelle où seul prévaut l’intérêt général au détriment des intérêts particuliers. Encore faut-il avoir des politiques capables de projeter un dessein pour la France.
Aujourd’hui, vous militez au sein de l’association République allant droit…
Je crois que nous devons inscrire notre combat de manière universelle et républicaine. Nous devons porter un projet social et politique qui va dans le sens de l’intérêt général et dépasser le stade des revendications particulières. Avoir quitté NPNS, c’était aussi la volonté de sortir d’un combat arabe pour des femmes arabes. Je ne me reconnais pas dans ce type de revendications ethniques ou communautaires. Il faut aller plus loin. S’inscrire dans l’héritage historique du mouvement féministe, en globalisant l’approche que nous avons des problèmes sociaux et ne laisser personne sur le côté. C’est d’autant plus urgent de le faire que nous souffrons encore de cette crise économique grave qui paupérise de plus en plus les familles, qu’elles soient d’origine immigrées ou françaises. On ne peut pas continuer impunément à monter les gens les uns contre les autres ! On va droit dans le mur. Résultat : Le FN, totalement décomplexé, progresse à grande vitesse.
Avec République allant droit, nous préparons un tour de France républicain pour aller à la rencontre des associations de terrain, pour qui le travail est devenu très difficile, faute de moyens. Nous travaillons sur des axes précis : échec scolaire, emploi, précarité, violences. Nous ferons un livre blanc des réponses et propositions des acteurs de terrain pour redonner sens à la cohésion sociale, clef de voûte du pacte social et républicain.
*Bouchera Azzouz, ex-secrétaire générale de Ni putes Ni Soumises.
→ Photo: Michel Lefebvre
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